a hiérarchie de l'Eglise catholique belge a, au plus haut niveau, tenté d'étouffer des affaires de pédophilie et, en tout cas, la plus emblématique d'entre elles : le viol régulier, par l'évêque de Bruges, Mgr Roger Vangheluwe, de son neveu. Les faits ont commencé quand le jeune garçon avait 5 ans et se sont achevés treize ans plus tard. Mgr Vangheluwe, 73 ans, a dû démissionner en avril après avoir reconnu publiquement les faits.
Le quotidien flamand De Standaard a révélé, il y a quelques jours, le contenu enregistré de conversations entre le cardinal Godfried Danneels, primat de Belgique de 1979 à 2009, Mgr Vangheluwe, et la victime de ce dernier. Mgr Danneels affirme aujourd'hui avoir tenté, peu avant la démission forcée de l'évêque de Bruges, une « médiation ». Ses propos, enregistrés à son insu, montrent plutôt qu'il a essayé d'influencer la victime, voire de la culpabiliser, et de plaider pour qu'en tout cas, elle ne divulgue pas les faits avant la retraite de l'évêque de Bruges, à la fin de 2011. Le tout pour éviter un scandale très dommageable pour l'Eglise.
Dans cet entretien, le cardinal voit la victime comme « un danger, une menace » et il est « l'instrument d'une méthode aveugle, inhumaine », souligne Bart Sturtewagen, le rédacteur en chef du Standaard. « Le cardinal a menti : il n'a pas joué les médiateurs. Il a seulement tenté de limiter des dégâts. Il a voulu assurer l'impunité à un crime et cela relève d'une qualification pénale », renchérit Yves Desmet, du quotidien de gauche De Morgen.
Ces révélations corrigent l'image d'un homme qui a longtemps incarné une certaine ouverture de l'Eglise belge et a affirmé ne pas avoir été mis au courant de scandales de pédophilie au sein de celle-ci. Il a continué à nier, même quand des prêtres flamands ont indiqué, il y a quelques mois, qu'il avait été averti, dès 1993, des actes commis par Mgr Vangheluwe.
Le groupe Droits de l'homme dans l'Eglise, présidé par un prêtre à la retraite, affirme, quant à lui, que l'ensemble des évêques belges n'ont eu aucune écoute pour plusieurs centaines de cas qui leur étaient soumis. Le groupe estime que quelque 5 000 personnes ont été victimes d'abus commis par des ecclésiastiques en Belgique.
La plus grande confusion règne aujourd'hui quant au sort de 475 dossiers d'abus sexuels qui étaient traités confidentiellement par une commission instaurée par l'Eglise, avant une éventuelle transmission à la justice. Ces dossiers ont été saisis en juin dernier par Wim De Troy, un juge d'instruction bruxellois, au cours d'une spectaculaire vague de perquisitions qui visaient, notamment, Mgr Danneels.
Commission d'enquête
Cette « Opération Calice » a toutefois été réduite à néant : sur requête du procureur général, une chambre du tribunal de Bruxelles a jugé les perquisitions illégales. Cet arrêt a été tenu secret pendant deux semaines et n'a été rendu public par une chaîne de télévision que le jour des révélations sur les conversations de Mgr Danneels. Entre-temps, la commission pour le traitement des plaintes, créée par l'Eglise, s'est sabordée.
Une gigantesque opération d'étouffement ? Plus vraisemblablement une guerre, au sein des institutions concernées, entre les partisans de la transparence et ceux du silence. Une trentaine de victimes ont, en tout cas, introduit un recours en cassation pour obtenir la poursuite des enquêtes.
Des parlementaires estiment que seule une commission d'enquête peut désormais faire la lumière sur ces dossiers. Le député socialiste néerlandophone Renaat Landuyt plaide pour l'instauration d'un organe indépendant, « une commission vérité qui irait plus loin qu'une commission d'enquête classique ». Selon lui, les faits ont démontré qu'un organe interne à l'Eglise ne peut être « opérationnel ».
Le projet ne semble toutefois pas faire l'unanimité au sein du Parlement et sera probablement combattu par l'Eglise dont le nouveau chef, Mgr André Léonard, successeur de Mgr Danneels, réfléchirait à « une nouvelle manière d'assurer l'écoute des victimes ».
Jean-Pierre Stroobants