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Combat d'un flic contre son institution
Article paru dans l'édition du 07.10.10
 
 

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hilippe Pichon s'est-il égaré dans la police ou la police dans le dossier Pichon ? Les deux, à l'évidence. Le commandant Pichon a signé avec le sociologue Frédéric Ocqueteau un livre préfacé par Me William Bourdon, sur le fichier STIC, Une mémoire policière sale, du nom de cet incroyable système de traitement des infractions constatées, un fichier qui, en décembre 2008, recensait 5,5 millions d'individus mis en cause, et 28,3 millions de victimes. Soit 34 millions de citoyens fichés. La moitié de la population française.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a fait rectifier 66 % des dossiers qu'elle a pu vérifier, en a fait supprimer 17 %, et a finalement constaté que le taux d'erreur, dans le STIC, était de 83 %. Philippe Pichon, un jeune commandant à l'oeil rond et vif, a longtemps bataillé contre sa hiérarchie contre cette « mémoire sale », qui ne tient compte ni des acquittements, ni des non-lieux, ni des classements et « mélange rumeurs et condamnations ».

Pour appuyer sa démonstration, le commandant, alors en poste en sécurité publique à Meaux (Seine-et-Marne), transmet, en octobre 2008, les fiches de Johnny Hallyday et de Jamel Debouzze à Bakchich. info, et l'on découvre notamment que le chanteur est toujours suspecté d'un vol de bicyclette de 1967.

L'administration apprécie assez peu sa « démarche citoyenne », Philippe Pichon est placé en garde à vue, fouillé à nu, et mis en examen pour « violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système informatisé et détournement d'informations à caractère personnel ».

Dragée haute

Le conseil de discipline - syndicalistes inclus - décide de sa mise à la retraite d'office en 2009, à 39 ans. Mais le tribunal administratif de Melun annule la sanction, estimant qu'il y a « un doute sérieux quant à la légalité de cette décision dès lors qu'il ressort (...) qu'il avait vainement appelé l'attention de sa hiérarchie sur les dysfonctionnements affectant la gestion du STIC ».

Le ministère de l'intérieur réintègre le commandant, mais le suspend de ses fonctions et le prive de son traitement, à cause de son contrôle judiciaire. Le juge d'instruction lève son contrôle judiciaire, un nouvel arrêté l'autorise à toucher son salaire (amputé de 30 % de primes), mais il reste suspendu, « à titre conservatoire », c'est-à-dire qu'il attend chez lui des nouvelles, en multipliant les recours.

Le commandant Pichon raconte par le menu « cette mise à mort sur le papier », et semble aujourd'hui avoir enfin compris que « certains combats sont perdus d'avance » et qu'il ne retrouvera jamais un poste dans la police. C'est le livre d'un deuil, d'un khâgneux violé quand il était gamin et devenu écrivain-policier, qui n'a jamais supporté les petits arrangements policiers et maîtrise suffisamment le droit pour tenir la dragée haute à sa hiérarchie. « J'agace, reconnaît le policier, j'ai dû idéaliser mon métier, au point d'outrepasser souvent ce qu'on attendait sincèrement de moi. »

Plus qu'un livre sur le STIC, la « mémoire sale » est celui d'un acharnement à convaincre ses pairs qu'une autre police est possible. Philippe Pichon, « l'écorché vif », est bavard, assez conscient de sa propre valeur, mais sincère et touchant. En contrepoint, le sociologue Frédéric Ocqueteau dissèque la descente aux enfers de son ami, qui « a pris tout simplement le risque de l'illégalité au nom de la défense d'impératifs moraux supérieurs ».

Franck Johannès
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