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L'ultime charge de Jean-Louis Nadal pour défendre une « justice brocardée »
Article paru dans l'édition du 09.01.11
Avant de prendre sa retraite, le procureur général de la Cour de cassation dit ce qu'il a sur le coeur

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'était son dernier discours, après six ans à la tête du parquet général à la Cour de cassation et quarante-quatre ans de vie judiciaire. Jean-Louis Nadal, l'un des plus hauts magistrats de France, a, vendredi 7 janvier, sonné la charge avant que sonne la retraite.

Le procureur général de la Cour de cassation a, sans les nommer, étrillé Brice Hortefeux, le ministre de l'intérieur, mis en garde le président de la République, tancé le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et demandé une réforme du statut du parquet. M. Nadal est un habitué, et tout le gratin de la magistrature attend avec délice qu'il dise tout haut ce que tous pensent tout bas lors des très solennelles audiences de rentrée de la Cour.

Au premier rang, Jean-Paul Costa, président de la Cour européenne des droits de l'homme, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat, et Robert Badinter s'efforcent de ne pas sourire ; et rien ne semble pouvoir altérer la bonne humeur de Michel Mercier, le ministre de la justice, qui a pris la volée de bois vert au nom du gouvernement. « De tout temps, la justice a été brocardée, a attaqué M. Nadal, mais le phénomène ne laisse pas d'inquiéter quand, à cette institution fondamentale de la République et de la démocratie, les coups sont portés par ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter. »

Le procureur général vise directement M. Hortefeux et Nicolas Sarkozy. « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l'opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l'altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, toutcela avilitl'institution et, en définitive, blesse la République, a insisté M. Nadal. Où sont les repères quand est niée la présomption d'innocence, principe pourtant fondateur de tout dispositif pénal ? »

La police judiciaire est dirigée par des magistrats. « Mais par quelles dérives certains de ses représentants se permettent-ils alors d'en appeler à l'opinion contre ces mêmes magistrats quand ils prennent une décision qui leur déplaît ? Et le scandale n'est-il pas encore plus grand quand ces protestations politico-corporatistes sont relayées au plus haut niveau, au mépris du fondamental principe de séparation des pouvoirs ? »

M. Nadal reconnaît qu'il y a chez les magistrats des « dérives rares, mais aux effets dévastateurs », et en appelle d'abord en donnant indirectement un coup de pied aux jurés populaires, l'idée fixe du chef de l'Etat. « Juger, c'est un métier, métier auquel il est indispensable de se former. A la base de toute activité juridictionnelle, doit impérativement se trouver une solide formation juridique et judiciaire. »

« Coma dépassé »

Reste un problème de fond, le statut du parquet, qui n'est pas, pour la Cour européenne, « une autorité judiciaire ». « Si cette décision devait trouver sa traduction en langage médical, a résumé le procureur général, il faudrait dire que le parquet est maintenant proche d'un état de coma dépassé. » M. Nadal redit avec force, « à titre en quelque sorte testamentaire : le statut du ministère public français doit être profondément revisité ».

« Il ne s'agit pas d'encourager la sécession en proclamant sa totale indépendance », mais il faut « extraire le venin de la suspicion » : « la seule solution est de couper tout lien entre l'échelon politiqueet le parquet pour ce qui concerne les nominations », aujourd'hui décidées par le gouvernement, après un simple avis du CSM. « Je ne peux en outre m'empêcher de regretter que le Conseil n'ait pas su trouver les ressources qui lui auraient permis de remettre en cause certaines nominations, a dit sévèrement le procureur général. Je ne peux que dire mon incompréhension quand j'ai vu surgir, sur des critères dont j'ignore la nature, des nominations qui posent question. »

Le haut magistrat a conclu en appelant à « une réelle séparation des pouvoirs » et « à l'avènement d'un pouvoir judiciaire dont la contrepartie serait une responsabilité accrue ». Et de citer « l'un des pères fondateurs de notre République », Michel Debré : « La valeur de la justice et le respect dont ses décisions sont entourées attestent du degré de civilisation qu'un peuple a atteint. »

« aux mérites du professionnalisme »Franck Johannès
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